La maladie de Crohn est une Maladie Inflammatoire Chronique de l'intestin (= MICI), qui peut toucher un endroit quelconque du tube digestif (Turck 1996). Son origine est encore mal connue (Glickman 1992), mais il est possible que cette affection soit due à une réponse lymphoïde anormale des cellules immunitaires digestives au contact d'un antigène d'origine alimentaire (Van Deventer 1997). Il y aurait une stimulation insuffisament contrôlée des lymphocytes T CD4+, avec comme conséquence une augmentation de sécrétion de cytokines, parmi lesquelles l'IL2, l'IFNg, et le TNFa (Van Deventer 1997). Il y aurait également une augmentation du Leucotriène LTB4 et du Thromboxabe A2, proinflammatoires (Belluzi 1996).
Ces anomalies expliquent l'efficacité thérapeutique :
- des traitements usuels tels que les corticoïdes, la sulfalazine et ses dérivés (salicylés), - de la cyclosporine, qui bloque la transcription de gènes permettant la fabrication de l'IL2 et du TNF, - de certains traitements expérimentaux, tels que les anticorps monoclonaux anti CD4 ou les anticorps anti TNF (Van Deventer 1996, Van Deventer 1997). En revanche, les modalités de l'action pourtant réelle de l'azathioprine ou du methotrexate sont encore mal connues.
Les patients porteurs d'une maladie de Crohn invalidante ou non contrôlée (diarrhée sévère, sténose digestive, abcès, hémorragies..) doivent parfois être opérés. Certains patients multiopérés ont un grêle court, justifiant à lui seul une prise en charge nutritionnelle.
La dénutrition lors de la maladie de Crohn a une prévalence qui a été longtemps considérée comme élevée, puisque, pour Fleming (1995), 63 à 75% des patients ont une perte de poids. Cependant, il est possible que les appréciations rapportées soient le plus souvent faites en période aigüe, et il serait souhaitable semble-t-il de conjuguer plusieurs techniques pour apprécier le statut nutritionnel (Geerling 1998). Une étude récente de Cosnes (1998) fait état de 6,6% de patients dénutris seulement, mais le critère à partir duquel une dénutrition est diagnostiquée est très sévère (Index de Masse Corporelle < 17 kg/m²), alors que la limite usuelle est à 18,5 kg/m² (OMS 1995), voire pour certains à 20 kg/m². Lorsqu'elle existe, la dénutrition est bien entendu liée à la réduction des apports alimentaires, à la malabsorption, aux pertes digestives, mais aussi à l'augmentation de la dépense énergétique induite par le syndrôme inflammatoire (Fleming 1995).
On considère que les patients porteurs d'une maladie de Crohn sont à risque d'avoir (Jeejeebhoy 1998) :
- un déficit en Fer, par réduction des entrées, malabsorption et/ou augmentation des pertes (diarrhées, saignements). L'induction d'une asthénie et d'une anémie est donc possible chez ces patients. - un déficit en Magnésium, à l'origine de troubles neuro-musculaires, ce qui pourrait expliquer en partie la réduction de force musculaire et la fatigue fréquemment rencontrées. - un déficit en vitamine A, à l'origine de troubles visuels. - un déficit en folates et vitamine B12 (Turck 1996).
Les patients peuvent également souffrir d'une ostéoporose, à la fois liée au traitement corticoïde lorsqu'il est présent et à une possible carence en calcium et vitamine D (Gaud-Listrat 1994).
En dehors des périodes aigües, il existe des perturbations (Geerling 1998) :
- de l'alimentation, avec une faiblesse des entrées en fibres et en phosphore, - du statut vitaminique : les taux sanguins en bcarotène, vitamine E, vitamine C et vitamine D sont bas - du statut en oligoéléments : les taux sanguins en sélénium et zinc sont bas, - de l'activité de la glutathion peroxydase. Au total, il faut donc remarquer l'altération du statut antioxydant de ces patients (Belmonte-Zalar 1996,Geerling 1998).
En revanche, le poids, l'Index de Masse Corporelle et la masse maigre sont normaux chez ces patients en rémission, comparés à des témoins (Geerling 1998).
La nutrition artificielle, bien qu'en général efficace, est pourtant souvent considérée comme un traitement adjuvant réservé aux formes cortico-résistantes ou cortico-dépendantes (Cosnes 1998).
La suplémentation orale peut être utilisée. Outre une amélioration due à l'apport calorico azoté, elle aurait une efficacité liée aux micronutriments qu'elle contient (Geerling AGA 1998).
La nutrition parentérale est en principe réservée aux patients ayant une impossibilité digestive à recevoir une nutrition entérale (fistules graves, grèle court, diarrhée sévère) et qui sont sévèrement dénutris (Greenberg 1990). Cependant, de nombreux patients refusent la nutrition entérale, et la nutrition parentérale est alors la seule solution.
La nutrition entérale (NE) pourrait permettre des rémissions jusque dans 80 % des cas. En fait, il y a certainement un biais qui explique cette valeur très élevée, car la NE est fréquemment associée en pratique à un traitement médicamenteux. Deux méta-analyses récentes indiquent que les corticoïdes seraient plus efficaces que la NE. Elles notent également qu'il ne semble pas y avoir de différence selon les produits utilisés pour la NE , depuis les élémentaires jusqu'aux polymériques, et que la supplémentation orale aurait une efficacité comparable à la NE (Fernandez-Banares 1994,Griffith 1995). Cependant, les risques d'erreur dans ces résultats de méta-analyses sont importants, et ces conclusions demandent à être vérifiées.
Concernant spécifiquement la NE , il a été longtemps admis que seuls les produits élémentaires devaient être utilisés (Teakon 1991), avec la notion sous-jacente de " repos digestif " et d'effet hypoallergénique des constituants de la NE (Jeejeebhoy 1994). Il semble cependant que les produits semi-élémentaires soient aussi efficaces (Grimaud 1990, Royall 1994), de même que les produits polymériques (Rigaud 1991).
Le principe de l'utilisation des huiles de poisson est séduisant pour leur effet théorique anti-inflammatoire (Jeejeebhoy 1994). Un essai avec une supplémentation orale s'est montré conluant (Belluzzi 1996), mais d'autres études sont discordantes (Geerling AGA 1998), et il n'est donc pas possible d'avoir un avis définitif sur ce point. |